Il avait fallu prendre ses marques, mais avant toute chose, se faire à l'idée... Oui, c'était cela qui avait été le plus dur et le plus long. Par contre, une fois la chose acquise, il y avait de quoi se faire plaisir ! Et Dorian ne s'en était pas privé.
Il avait pris la mer, n'en soyez pas surpris ! Car il partageait une chose avec les marins du Keltia qu'il n'arriverait jamais à partager avec ses compagnons d'aventure : le plaisir de naviguer. Les pirates étaient des hommes de mer avant d'être fils de la terre. Clavinia c'était bien sympa mais ça ne nourrissait pas son homme. Y revenir régulièrement était reposant après les difficultés des voyages maritimes. Le plaisir était renouvelé à chaque halte dans cette cité et les jours semblaient beaux et les nuits faciles lorsqu'on était à Clavinia. Et pourtant, le départ était toujours dans un coin de la tête ; le prochain trajet, les prochaines tempêtes n'étaient jamais loin dans l'esprit d'un marin.
Et le capitaine Dinh que sa charge nouvelle prédisposait à la réflexion de ce genre de détails avait travaillé une bonne partie de la nuit sur les escales du prochain voyage du Keltia. Mais revenons un petit peu en arrière... Comment avait-il eu l'idée de faire du bateau pirate un transporteur commercial ? Temporaire évidemment ! C'était une activité temporaire, histoire de payer les compagnons et d'entretenir le bâtiment que des mois à quai dans l'attente d'une nouvelle aventure auraient complètement rongé. Quand Slayn, en sa qualité de second, l'avait propulsé capitaine et qu'ensuite les marins avaient confirmé ce choix, le borgne avait été plus que surpris. La panique n'avait pas été loin de le gagner, surtout en réfléchissant à la manière dont avait terminé son prédécesseur... enfin ses prédécesseurs... Entre dettes énormes et dépression, son choix avait été fait d'éviter autant que possible les deux maux ! Pas question de prendre le moins pire des deux... d'autant qu'éviter l'un comme l'autre ne lui parurent rapidement pas insurmontable. Quelle était la meilleure façon d'éviter de sombrer dans la déprime ? Pour lui, ça se résumait à naviguer, voyager, découvrir... En quoi cette passion pourrait être bénéfique pour les finances ? Que pouvait-on faire avec un navire à travers les océans ? Un mot lui vint alors qu'il promenait ses guêtres sur le marché de Clavinia : commercer. Quoi ? Peu importait ! Acheter ici pour revendre ailleurs et pour ne pas revenir les cales vides, refaire le plein dans cet ailleurs de produits intéressants pour le ici clavinien.
Il chercha alors des commerçants à la recherche d'un navire fiable et d'un équipage expérimenté. Après quelques petites courses sur de courtes distances, histoire d'asseoir le début d'une bonne réputation, Dorian espérait trouver des voyages plus longs et intéressants. Ça viendrait avec le temps... Il ne faisait pas trop le difficile sur les marchandises embarquées : animaux vivants, morceaux de viande, légumineux, draps, objets d' « art »... Il prenait ce qu'on lui donnait et laissait le marchand marchander le prix de ses produits ; le capitaine et ses hommes recevaient une avance pour le voyage puis touchaient une prime sur la vente effectuée. Pas question de devenir commerçant, le Keltia n'était qu'un navire de transport. Et ça payait convenablement... Dans l'attente d'une nouvelle aventure...
Voilà le petit résumé de ces quelques semaines. Dorian s'étira et bailla. La fatigue le gagnait alors que le jour pointait doucement son nez par la persienne de sa cabine. Mais il n'aurait pas encore le temps de dormir ce matin car il avait rendez-vous avec un marchand pour finaliser le prochain voyage. D'après ces calculs et dans de bonnes conditions météorologiques, ça prendrait deux jours pour atteindre l'île souhaitée et deux autres pour revenir. Encore une petite course, mais il prenait ce qui venait... Fallait pas être trop difficile non plus ! Il avait besoin de cet argent pour remplacer une voile qui commençait à fatiguer sérieusement et dont les reprisages répétitifs n'arriveraient bientôt plus à rien.
Il se passa alors de l'eau sur le visage, attacha ses cheveux et remit son bandeau sur son œil. Une carte calée sous le bras, il referma la porte de sa cabine et, une fois sur le pont, respira un grand coup, prêt à se rendre à son rendez-vous.
Clavinia s'éveillait doucement à la vie et le capitaine avait pris de l'avance car il aimait ces instants de suspens avant la cohue matinale. Il était aussi parti tôt, car il se trompait systématiquement de chemin lorsqu'il souhaitait se rendre chez ce marchand.
[HJ : A qui veut !! ]